Histoire du tatouage traditionnel japonais
Au cours de l’histoire de l’Extrême-Orient, le tatouage ne fut accepté que durant quelques périodes. Il était en effet le plus souvent associé aux classes populaires ou à la pègre.
Il a été souvent utilisé à des fins punitifs, cependant il connut au 18ème siècle, un avis différent lorsque des artistes se tournèrent vers l’art du tatouage et que la qualité des motifs s’améliora sensiblement. Le style japonais donna le ton à travers le monde et les aristocrates occidentaux se rendirent même au Japon dans le but d’y recevoir un tatouage.
Les origines
Même si pendant certaines périodes où le tatouage fut relativement toléré par la haute société, en Chine et au Japon, le tatouage servit souvent dans les temps anciens à sanctionner des délits mineurs, et l’emplacement du tatouage et son motif marquait la gravité du ou des délits. Dans la Chine ancienne, le tatouage par son effet de modification corporelle entrait en contradiction avec la morale confucéenne dont les codes moraux stricts réglaient la société. Le tatouage était par conséquent répandu dans l’armée, chez les esclaves et les criminels. Il s’agissait de tatouages obligatoires qui renforçaient l’identité des groupes et étaient destinés à prévenir toute désertion ou fuite.
Les individus des classes populaires une fois marqués par un tatouage punitif étaient contraints de s’enrôler dans l’armée, ou étaient bannis dans des provinces lointaines, car aucun individu tatoué n’était autorisé à vivre dans une cité. Ainsi, les individus tatoués qui ne rejoignaient pas les rangs de l’armée étaient bien souvent obligés de vivre dans la marginalité.
Le Japon, alors fortement influencé par la Chine avait adopté ces méthodes. Au Japon, le tatouage occupait donc une place importante dans le système des châtiments dégradants. Ainsi par exemple, les délinquants déclarés coupables d’extorsion, de fraude ou de vol se voyaient infliger un tatouage en forme de bande noire sur le haut du bras ou l’avant-bras, ou encore un idéogramme japonais sur le front.
Cependant, les tatouages finirent par perdre leur caractère stigmatisant car ceux qui les portaient finirent par y ajouter leurs propres dessins et textes aux idéogrammes existants. Les criminels se mirent à couvrir les marques avec des images qui ne portaient aucun stigmate, comme des fleurs et des animaux.
Pour d’autres, les tatouages les firent basculer dans la délinquance : ils formaient des bandes de brigands qui semaient la terreur dans les campagnes.
Ce ne fut qu’en 1870 au Japon, que ce mode de châtiment par tatouage punitif fut définitivement aboli.
L’essor artistique et culturel du tatouage japonais
Au 16ème siècle, un grand classique immensément populaire de la littérature chinoise, le Shui-hu-zhuan ( « Au bord de l’eau »), incita bon nombre de chinois à se faire un tatouage. Ce roman relate les aventures épiques de 108 brigands qui défièrent dans les marais du Liangshan des dirigeants chinois corrompus, entre 1117 et 1121. Ils pratiquaient chacun des arts martiaux différents et cinq des des principaux personnages pouvaient être identifiés par leurs tatouages. Le chef, notamment, arborait un tatouage punitif sur le visage. Un autre membre de la bande attribuait ses talents de combattants aux neuf dragons tatoués sur son corps. Un troisième portait des tatouages si beaux qu’il charmait toutes les femmes. Le roman fut traduit en japonais sous le nom de Suidoken, et connut plus tard un vif succès au Japon.
Entre le 17ème et le 18ème siècle, le tatouage gagna au Japon le statut de forme d’expression artistique, au cours de la période Edo où le pays connut une prospérité culturelle et économique.
Le roman Suidoken contribua à cette popularité de plus en plus grande. De grands artistes comme Hokusai ou Kuniyoshi illustrèrent cette histoire, et naturellement, l’intérêt pour le tatouage s’inscrivit dans la popularité des gravures ukiyo-e qui furent ainsi la source d’inspiration principale du tatouage figuratif intégral japonais.
Selon Kuniyoshi, neuf et non cinq des cent huit brigands portaient des tatouages. Le bandit orné des neufs dragons et un autre dont le dos était orné d’un léopard entouré de flammes étaient les personnages les plus populaires. Les gravures illustrant le roman incitèrent de plus en plus de japonais à se tatouer et les demandes pour des pièces de plus en plus grandes et complexes augmentant, amena la création d’une corporation de tatoueurs professionnels dont les meilleurs avaient naturellement fait leurs armes dans les guildes de graveurs sur bois. Le nouveau mot de horimono fut inventé pour désigner le tatouage et le détacher de son ancienne connotation négative.
Les maîtres tatoueurs japonais finirent par acquérir une excellente réputation à travers le monde entier, de sorte que des Occidentaux, même parfois de rang royal se rendirent au Japon dans le but de recevoir un tatouage d’u maître japonais.
La qualité et la variété des aiguilles qu’ils utilisaient, ainsi que leurs encres en noir et en couleurs (rouge, vert, indigo et jaune qui permettait d’utiliser les couleurs primaires), les techniques picturales utilisées, rendaient leur art unique.
À partir du 18ème siècle beaucoup de gens y eurent recours, aussi bien la classe moyenne que les artisans et les manoeuvres, les gens de classe plus populaires ornaient leur corps de dieux protecteurs, de scènes mythiques ou de héros légendaires inspirés des estampesukiyo-e.
Le tatouage intégral étant financièrement inabordable pour les ouvriers, et certains musées reconnaissant l’importance du tatouage dans le patrimoine culturel du pays, payèrent souvent des tatouages en échange de revendications posthumes sur la peau du bénéficiaire. Plusieurs musées exposent encore aujourd’hui les peaux de travailleurs ayant vécu au 19ème siècle au Japon.
Les techniques perfectionnées et les illustrations colorées du tatouage firent l’objet d’un vif engouement chez les ouvriers japonais, et cet engouement gagna les visiteurs étrangers au Japon à partir du milieu de 19ème siècle.
Les officiers de l’Empire britannique se rendirent en nombre les les maîtres tatoueurs japonais, et de retour en Europe, ils suscitèrent l’admiration de leurs compatriotes devant ces riches motifs colorés: fleurs de cerisier, pivoines, tigres, dragons…Bientôt les riches européens se rendirent à leur tour au Japon dans le but de recevoir un tatouage.
La désapprobation des autorités envers le tatouage japonais
Curieusement, les autorités japonaises ne cessèrent de décourager, voire d’interdire le tatouage, à cause du conflit qu’il créait avec la morale publique japonaise. Lors de l’occupation du Japon après la seconde guerre mondiale, les américains levèrent l’interdiction qui frappait le tatouage alors que celui-ci était encore proscrit à New-York.
Aujourd’hui le tatouage n’y est pas aussi répandu qu’il ne l’est en Occident, et le tatouage intégral est la marque des yakusa. Les individus tatoués se voient souvent refuser l’entrée des bains et saunas publics.
La pratique du tatouage a ainsi évolué d’un châtiment punitif à une expression artistique dont l’apogée se situa au 18ème siècle, pour être aujourd’hui principalement la marque de la pègre.
(Source: Tatouage à travers le monde, de Maarten Hesselt van Dinter)